L’Express : comment la pandémie affecte durablement l’éducation des enfants dans le monde

 

Publié le 28/08/2020 par Céline Delbecque, dans L’Express

Crédit photo : Aide et Action

Selon l‘Unicef, l‘impact du Covid sur l‘éducation des enfants est « considérable » : au moins 24 millions d’élèves ne retourneront jamais à l‘école, indique l‘organisme.

Écoles fermées, accès à Internet limité, confinement… Au-delà de ses conséquences sanitaires, le coronavirus est loin d’avoir facilité l‘éducation des jeunes enfants à travers le monde. Selon une étude publiée par l‘Unicef mercredi, le constat est sans appel : environ 463 millions d’enfants n’ont pas pu bénéficier d’un enseignement durant la crise, faute de pouvoir le faire virtuellement.

Alors qu’au plus fort du confinement, environ 1,5 milliard d’écoliers ont été touchés par les fermetures d’écoles, l‘Unicef évoque « une urgence éducative mondiale ». « Les répercussions pourraient se faire sentir dans les économies et les sociétés pour les décennies à venir », a notamment prévenu Henrietta Fore, directrice exécutive de l‘organisme, dans un communiqué.

« Plus de 90% de la population estudiantine dans le monde n’allait plus à l‘école physiquement durant le confinement, ce chiffre touchant en particulier 760 millions de filles », rappelle de son côté Farah Malek-Bakouche, chargée de plaidoyer international à Unicef France. « Cette crise est donc venue aggraver une situation de déscolarisation déjà considérable dans le monde : avant la crise, un enfant sur cinq n’était pas scolarisé », indique-t-elle à LExpress.

« L‘impact sur l‘éducation des jeunes enfants à travers le monde est considérable », abonde Charles-Emmanuel Ballanger, directeur général international de l‘association Aide et Action. « Il est absolument nécessaire que les pays en développement consacrent au moins 20% de leur budget national à l‘éducation, pour amenuiser les impacts de cette crise à court, moyen et long terme. Ces budgets ne doivent en aucun cas être coupés », plaide-t-il, exhortant du même coup la France à respecter ses engagements en terme « d’aide au développement ».

Risque de non-retour à l‘école

Le rapport de l‘Unicef, basé sur des données recueillies auprès d’une centaine de pays sur l‘accès des élèves à Internet, la télévision ou la radio, montre que l‘enseignement dispensé sur ces plateformes pendant la fermeture des écoles est loin d’avoir été suivi par la totalité des étudiants. Ainsi, pas moins de 80 millions d’enfants ont été privés d’enseignement dans le Pacifique et l‘Asie de l‘est, 147 millions en Asie du Sud, plus de 67 millions en Afrique de l‘est et du sud, et 13 millions en Amérique latine et dans les Caraïbes.

Face aux inégalités criantes selon les continents, la majorité des élèves n’ont tout simplement « pas eu la chance d’accéder aux outils nécessaires pour suivre un enseignement à distance », décrypte Charles-Emmanuel Ballanger. Selon lui, les chiffres réels pourraient même être bien plus élevés : parmi les enfants ayant eu accès à Internet, « nombreux sont ceux n’ayant pas pu étudier, de par les pressions exercées à la maison, notamment sur les tâches ménagères, le travail en extérieur ou le manque de soutien familial ».

Pire : l‘arrêt brutal de leur scolarité risque d’engendrer un non-retour à l‘école de nombreux enfants, obligés de travailler pour subvenir aux besoins de leurs familles. « L‘inquiétude se généralise notamment sur les jeunes filles, qui seront les dernières à retourner à l‘école en temps de crise », explique-t-il. Selon des estimations réalisées par le Fonds Malala pour l‘Éducation, qui s’appuie sur les enseignements tirés de l‘épidémie d’Ebola, dix millions de jeunes filles en âge d’être scolarisées pourraient ainsi ne jamais retourner à l‘école. Farah Malek-Bakouche, elle, évoque le chiffre de « 24 millions d’enfants » au total, précisant que ce nombre est par ailleurs « très certainement sous-estimé ».

« Il y a également un risque de retour à tous les trafics possible, notamment à la prostitution pour les jeunes filles. Lors de ce type de crise, les trafiquants de tout ordre viennent faire pression sur les familles, afin de profiter de leur précarité économique », s’inquiète Charles-Emmanuel Ballanger. « Il y a des impacts insidieux, avec une augmentation très probable du nombre de grossesses précoces ou de mariages précoces, une exposition plus forte aux violences physiques, sexuelles et mentales, un accès moindre à l‘alimentation, ou encore de forts impacts sur la santé mentale », détaille quant à elle Farah Malek-Bakouche.

« Élargissement de l‘accès à l‘éducation »

Le manque d’éducation sur les enfants aura par ailleurs des conséquences économiques « à long terme » sur les pays concernés, assure Charles-Emmanuel Ballanger. « Des études de l‘Unesco ont montré que, lorsqu’on augmente d’une année scolaire le niveau d’étude moyen des élèves d’un pays, le PIB de ce même pays augmente d’un à deux points », développe-t-il. « Pour faire simple, les enfants les plus éduqués deviennent des citoyens plus actifs », résume Farah Malek-Bakouche.

Pour éviter de trop lourdes conséquences pour les pays les plus touchés, la chargée de plaidoyer au sein de l‘Unicef évoque ainsi plusieurs pistes, qui doivent faire partie « d’un travail d’ampleur, qui repose sur un large investissement et une prise de conscience de l‘importance de l‘éducation sur les enfants ». L‘Unicef exhorte ainsi les gouvernements à donner la priorité à la réouverture en toute sécurité des écoles lorsque les restrictions liées aux confinements seront assouplies. Et lorsque cette réouverture n’est pas possible, l‘agence demande aux gouvernements d’intégrer l‘apprentissage compensatoire pour le temps d’enseignement perdu dans les plans de continuité et de réouverture des écoles.

« Les politiques et pratiques d’ouverture des écoles doivent inclure l‘élargissement de l‘accès à l‘éducation, y compris l‘apprentissage à distance, en particulier pour les groupes marginalisés. Les systèmes éducatifs doivent également être adaptés et construits pour résister aux crises futures », souligne le Fonds onusien. « Le soutien des gouvernements est primordial », conclut Charles-Emmanuel Ballanger, qui s’inquiète de « coupures » dans les budgets réservés à l‘éducation. « Le risque, c’est de tenter de relancer l‘économie en déshabillant les financements liés à l‘éducation pour rembourrer les systèmes de santé ou de protection sociale », image-t-il. « Cela ne doit en aucun cas arriver ».

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