La pandémie de COVID-19 pourrait-elle être l’occasion dont le Laos a besoin pour remédier à sa fracture numérique ?

Crédit photo : Matthew Dakin

Au cours de la pandémie de COVID-19, la nécessité de l’Internet haut débit est devenue incontestable puisque cela fournit des moyens sans précédent d’étudier, de travailler et de se socialiser en ligne. Mais, en Asie du Sud-Est, le Laos est à la traîne, mettant en péril l’éducation et menaçant le développement du pays.

Dans le petit village rural de KohnKaen, dans la province de Vientiane, qui abrite environ 1 400 habitants principalement issus de minorités ethniques, l’accès à Internet et les smartphones arrivés récemment sont bienvenus.

Mai, 10 ans, emprunte le smartphone de ses parents chaque fois qu’elle le peut pour écouter de la musique anglaise même si elle ne comprend pas encore les mots. À tout juste 10 ans, Mai pense déjà à son avenir et celui de sa famille et à la manière dont l’anglais pourrait lui permettre de quitter son village et de se rendre dans des pays voisins comme la Thaïlande ou le Vietnam pour subvenir aux besoins de sa famille.

À la fin de 2019, quand la crise de COVID-19 commençait à éclater, 2,3 milliards de personnes utilisaient Internet dans la région Asie-Pacifique. Alors que la région est en tête de certains indicateurs mondiaux tels que les médias sociaux et la messagerie, de nombreux écarts subsistent au sein de pays tels que le Laos en ce qui concerne l’accès de base à Internet, ainsi que le débit et le coût de celui-ci. Des disparités existent également selon les critères économiques, géographiques et de genre.

Mai est l’une des rares enfants de son école à avoir accès à Internet via le smartphone de ses parents. Selon la Banque mondiale, à presque tous les égards, le Laos accuse un retard considérable en termes d’accessibilité, de qualité et de prix abordable des services par rapport à d’autres économies régionales comparables.

Alors que 81% de la population du comté est abonnée aux services mobiles de base, seulement 39% de la population seraient des utilisateurs d’Internet et moins de 2% des ménages du pays auraient accès à Internet à domicile selon la dernière enquête gouvernementale sur les indicateurs sociaux.

Les communautés ont besoin d’une connectivité améliorée et abordable

Alors que les pays voisins, comme le Cambodge, ont déployé des programmes d’enseignement à distance par radio pour les élèves sans accès à Internet pendant les fermetures d’écoles forcées par la COVID-19, les élèves des zones rurales du Laos, comme les camarades de classe de Mai, ont été en grande partie exclus de l’éducation. Pour les populations vivant dans les zones rurales sans route, l’accès à l’enseignement à distance et à la technologie était encore plus hors de portée – seulement 0,3% des ménages ont accès à Internet à domicile, 2% ont un ordinateur, 49% ont une télévision et 15% ont une radio.

SomBat Xongyer, directeur d’école primaire dans le village de NamLao, district de Meun, province de Vientiane, atteste que les écoles comme la sienne ont besoin d’un soutien non seulement en termes de connectivité améliorée et abordable, mais aussi d’une formation de base sur l’utilisation des technologies numériques. Les statistiques gouvernementales révèlent que dans les zones rurales du Laos, seulement 7% des personnes âgées de 15 à 49 ans ont utilisé un ordinateur et moins de 20% ont déjà utilisé Internet. «Lorsque les écoles ont fermé, nous avons donné des devoirs à nos élèves, mais nous n’avons fait aucun suivi avant la réouverture, des mois plus tard. Même maintenant, nous n’offrons toujours aucun mode d’apprentissage en ligne à nos élèves. Je ne sais pas enseigner en ligne, nous n’avons pas suffisamment d’équipements technologiques et je ne sais pas non plus comment les utiliser », témoigne le directeur.

Une note d’orientation récente publiée par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) indique que les trois mois de fermeture d’écoles au Laos sont directement liés à la baisse de 2,6% de son indice de développement humain en 2020. Celui-ci mesure les dimensions clés du développement humain selon trois domaines – l’espérance de vie, l’accès à l’éducation et le revenu national brut par habitant.

La baisse de l’indice de développement humain du Laos est attribuable à deux facteurs principaux – une forte baisse de l’indice de l’éducation de 7,77%, en raison des fermetures d’écoles (environ 56 jours civils scolaires) exacerbée par une mauvaise connectivité Internet. Cependant, alors que la pandémie de COVID-19 pousse les gouvernements, les organisations de la société civile, les agences des Nations Unies et d’autres à explorer les impacts socio-économiques sur les populations, des opportunités se présentent pour réduire les inégalités à l’avenir et prioriser les domaines qui ont jusqu’à présent été largement négligés dans l’élaboration des politiques clés.

Des systèmes éducatifs plus résilients, inclusifs et durables

Pour marquer la Journée internationale de l’éducation de cette année, un accent mondial est mis sur le renforcement de la collaboration et de la solidarité internationale pour placer l’éducation au cœur de la reprise de post COVID-19. Le thème de cette année « Rétablir et redynamiser l’éducation pour la génération COVID-19 » positionne la crise comme un appel au réveil, invitant les systèmes éducatifs à devenir plus résilients à la crise et aussi plus inclusifs, flexibles et durables.

Dans le plan de réponse éducative face à la COVID-19, développé par le ministère de l’Éducation et des Sports du Laos (MoES) en août 2020 avec le soutien de l’UNICEF et en collaboration avec d’autres ONG et agences des Nations Unies, les besoins suivants ont été identifiés : une plateforme digitale pour héberger tous les cours en ligne, des applications spécifiques et un accès renforcé à la télévision, à la radio, aux chaînes YouTube, etc.

Mais, selon Vithanya Noonan, directrice pays d’Aide et Action au Laos, réduire la fracture numérique entre les familles privilégiées et celles plus démunies implique plus que de fournir un accès aux smartphones, tablettes ou ordinateurs. Cela nécessite un investissement et une collaboration forte de la part du gouvernement dans l’élaboration de programmes, de formations et plus encore.

« Il serait nécessaire de mettre au point des méthodes et du matériel d’enseignement spécifiques selon les classes et les matières des  programmes nationaux. Il faudrait aussi une coordination avec le gouvernement pour assurer l’expansion d’un signal Internet suffisant pour couvrir les zones rurales et éloignées afin de correspondre aux investissements dans le développement de l’éducation », explique Vithanya.

Une priorité absolue dans ce contexte

Ce manque d’accessibilité et de disponibilité signifie que la majorité des écoles et des enseignants dans les régions rurales du Laos comptent toujours sur leurs téléphones portables pour un accès Internet qui est, au mieux, fragmenté. À l’école primaire de PhuPhieng dans le district de Feuang, province de Vientiane, l’enseignante Keryang Upoa et ses collègues ont reçu de nouveaux équipements (ordinateurs, tablettes et un projecteur) et une formation aux nouvelles technologies de la part d’Aide et Action il y a deux ans, mais lorsque les écoles ont fermé en mars dernier, l’apprentissage en ligne était toujours hors de portée. «L’apprentissage en ligne n’est pas adapté ici car la plupart des élèves n’ont pas accès à Internet», déclare Keryang.

Leng Thao, adjoint du village de PhuPhieng, a déclaré que le manque d’internet fiable de la communauté signifiait également qu’il y avait un manque d’accès à des informations fiables pendant une période critique. «L’accès à Internet est très difficile pour notre communauté. Premièrement, nous sommes dans une zone tellement reculée que l’Internet est lent et n’est parfois disponible que dans certains endroits. Deuxièmement, beaucoup ne l’utilisent que pour jouer à des jeux ou regarder des films et ne savent pas comment l’utiliser de manière utile [pour accéder à des informations]. »

Selon la Banque mondiale, l’amélioration des politiques liées aux nouvelles technologies, avec un accent particulier sur la connectivité haut débit, l’augmentation des investissements dans ce domaine en renforçant les partenariats publics et privés, et la connexion de la population rurale sont les principales priorités de la Vision 2030 du gouvernement, mais les progrès réalisés à ce jour restent à voir.

En partenariat avec le ministère de l’Éducation et des Sports, le Centre des Technologies de l’information et de la communication, l’Institut de recherche pour les sciences de l’éducation et l’Université nationale du Laos, Aide et Action a piloté une application d’apprentissage (disponible via Google Play) pour les élèves de maternelle et de primaire en avril 2020. Le développement de l’application se poursuit actuellement et pour des organisations telles qu’Aide et Action, l’engagement à équiper les écoles et les bibliothèques mobiles avec des équipements tels que des tablettes et des ordinateurs à bas prix, et fournir une formation adaptée aux enseignants sera la priorité absolue pour 2021.

Alors que la COVID-19 annule les progrès récents réalisés dans des domaines tels que la pauvreté et l’éducation et réduit l’indice de développement humain au Laos, il est impératif de réduire la fracture numérique afin d’assurer l’accès à l’éducation et une répartition plus équitable des opportunités numériques selon les lieux, le genre, le statut socio-économique et l’âge.

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